Mini Conférence de Marc Scialom au musée de la guitare à Alméria

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Antonio TorresMini-conférence de Marc Scialom le 13 juin 2017 au musée de la guitare à Almeria pour le 200e anniversaire de Antonio Torres.

 

Pierre AMOYAL violoniste de renommée internationale qui possède le Stradivarius Kochansky, disait à l’un de ses élèves lors d’une Masterclass :

« Pour exécuter votre vibrato, gardez votre bras immobile, bougez le moins possible la main, c’est seulement le doigt qui doit bouger »

Puis il se reprend : « Non, ce n’est pas cela, vous devez vous contenter d’entendre la note avant de l’avoir jouée et laissez cette note entendue dans votre esprit, laisser mouvoir votre doigt en toute liberté ».

Nous avons là deux conceptions de l’existence : l’une technique, l’autre intuitive.

Quand j’ai raconté cette histoire à un ami luthier, il m’a dit : « Bien sûr, les connaissances techniques chez Antonio Torres sont celles d’un maitre luthier mais je peux aussi imaginer sa dimension intuitive un peu de la manière dont parle Pierre Amoyal. Il entend le son, le timbre particulier, la longueur de note avec les harmoniques qu’il souhaite et dans son esprit s’élabore la forme d’une guitare avec les matériaux les dimensions, les épaisseurs, le barrage, les courbures de la table…

Il possède un haut niveau de technicité mais ce qui fait le génie de Torres est cette part intuitive d’où procèdent l’élaboration et la technique.

C’est ainsi que nous reconnaissons la singularité de chacune de ses guitares ou en d’autres termes leur âme.

Nous assistons au processus de la mondialisation avec ses aspects positifs et négatifs.

L’humanité est en face de ce défi de prendre conscience de son unité et de la responsabilité qu’elle a à exercer envers les règnes animal, végétal, minéral.

C’est non seulement sa vitalité, sa santé mais aussi sa survie qui est en jeu.

Les ombres de la mondialisation sont bien là en face de nous.

Michel Foucault écrit : « La norme est porteuse d’une prétention de pouvoir ».

Des maisons de lutherie, autrefois prestigieuses, ne résistent pas, pour des raisons de rentabilité, à confier la fabrication de leurs guitares à des usines en Chine.

José Romanillos a partagé hier avec moi que la dernière guitare qu’il vient de finir, a une table en quatre parties. Il m’a dit « je ne souhaite pas vendre cette guitare mais si l’on montrait cette guitare sans l’étiquette, à des magasins de guitares, personne n’en voudrait, tant on est obsédé par la norme ».

La reconnaissance de la singularité de chaque guitare est importante pour un artisan digne de ce nom. Singularité ne veut pas dire originalité à tout crin, excessive.

La véritable singularité est l’âme de la guitare où s’accordent la qualité et la forme.

Et je veux bien imaginer que dans le meilleur des cas, c’est l’âme de la guitare qui va décider de la rencontre avec le guitariste.

Harmonie entre le musicien et l’instrument, où la guitare est le prolongement du corps du musicien.

Notre corps est à la fois le plus intime de nous-même et ce qui est engagé dans le monde, notre être-au-monde.

Donc pas de séparation entre le corps et l’âme.

Garder cette perspective pour un luthier est un acte de résistance à l’horreur économique, c’est chaque jour un acte politique.

Que l’hommage que nous rendons à Antonio Torres, à son esprit d’innovation présent dans chacune des guitares qui sont exposées dans ce musée, nous stimulent à résister à l’uniformisation, à continuer à travailler avec notre intuition, avec notre vulnérabilité, notre singularité qui fonde la dignité de l’être humain.

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